Milieu de la nuit. Alma ouvre les yeux.
Au plafond, les craquelures dessinent des formes. Un bout de plâtre, à moitié décollé, forme une ombre dans un coin.
« Je tiens pas la pression », elle se dit.
Alma cligne des yeux.
En même temps j’ai pas l’habitude.
Leur histoire de pouvoir. Je te protège contre de l’eau, contre des vivres, contre quoi ? Jusqu’où ça va ? Jusqu’où ça doit aller ? Tu veux que je te donnes quoi ?
Quand j’étais au Nid, on était juste une petite famille. On demandait rien à personne, on voyait pas grand monde, ça suffisait. Le Bois nous nourrissait. Discret.
Puis un jour, plus rien. Perdus. Disparus, évaporés, alors que j’étais partie chasser. Pas de traces de lutte, juste quelques marques de pneus dans la boue du sentier.
Qui est venu ? Qu’est ce qu’ils ont dit ? Qu’est ce qu’il s’est passé ?
Eux aussi, on leur a proposé une protection ?
Qu’est ce qu’ils sont devenus ?
Alma cligne des yeux.
Au Block, on est pas une petite famille. On grandit tu vois ? Plus ça va, plus y’a des gens, plus y’a des gens, plus on nous voit, plus on veut nous voir.
Et moi j’veux pas.
Moi j’veux qu’on nous laisse tranquille. Moi j’veux pas qu’on nous offre de la protection. Moi j’veux rien devoir a personne.
Alors quand on vient nous voir, chez nous, la bouche en coeur et le flingue dans la main, et qu’on dit qu’on veut pas, c’est qu’on veut pas, bordel ! On va pas repartir avec toi. On va pas juste laisser des traces de pneu dans la boue, et puis plus rien. On veut pas, t’as pas compris débile ? T’as pas compris ?
Alma se lève. Elle détache le bout de plâtre qui pendait, le broie doucement dans sa main, et jette les débris par la fenêtre ouverte.
Dehors tout est calme.
C’est le milieu de la nuit.
Il fait encore chaud.
Il fait encore chaud oui. Mais on a de l’eau. On a un putain de tuyau d’eau qui part du fleuve, qui est pompé par des amis à nous, et que 7 a tiré bien discrètement dans ces putains de souterrains de merde ou on voit rien d’autre que le reflet du métal des boites de conserve abandonnées aux rats.
Le métal.
Le métal des couteaux.
Les sourires dégueulasses.
Et les ongles sales des mains.
Alma a un frisson. Elle se frictionne les bras.
Elle se revoit, se mordre les lèvres au sang, essayer de jouer la comédie, comme on avait dit.
Mais parler c’est pas son truc. Après avoir cherché de l’eau au Château, Banni lui a dit « j’avais peur que tu parles trop, Alma ». C’est vrai, elle parle trop des fois. Souvent. Là elle a parlé, mais ils l’ont pas cru.
« Je tiens pas la pression », elle se dit.
Elle sent à nouveau le coup lourd sur la nuque qui la fait perdre pied.
Puis les sourires degueulasses. Et les ongles sales des mains, à nouveau.
Elle se revoit avec 7, et Banni, un peu plus tot, résumer le plan qui devait les amener à trouver la tanière des Ska. « Si j’ai bien compris, les mecs, c’est que c’est moi qui vais devoir faire la nana perdue qui vais trafiquer la pompe c’est ça ? Parce que 7, tu te perdrais dans ton slip, et Banni, côté discrétion, on a fait mieux. Alors je pars devant avec la lampe torche, dans ces souterrains de merde, et vous êtes derrière hein ? Vous êtes derrière ? J’vous préviens, si ça va pas, je crie. J’vous préviens si ça s’passe mal, je. Vous. Tue. »
Elle se revoie regarder Banni dans les yeux.
« Tu m’laisses pas tomber hein ? »
Le colosse rouge pose un regard assuré sur la jeune femme. Comme d’habitude il soigne chaque mot.
« Jamais…Alma. »
Elle sent les ongles sales des mains. Elle se voit par terre, à demi sonnée, entourée par une meute de sourires mauvais et de couteaux luisants.
Elle entend la voix crasseuse : « on la ramène ? »
Et elle entend la réponse :
« Non. On la consomme sur place. »
Un autre frisson.
Dehors tout est calme. Elle retourne s’allonger sur sa couche.
« Banni… merci. »
Au plafond, des craquelures dessinent des formes.