Sarah (Seule dans New-3spérance)

Sarah fit une moue de déception lorsqu’elle vit apparaître le visage de son commanditaire à l’écran.
« Octavius Ballinger, se dit-elle, c’est une mission qui va sentir la boue… »
Octavius était généralement chargé chez Oculus des missions les moins prestigieuses, celles qu’on laissait pour une raison ou pour une autres à des mercenaires externes à la corpo, voire à des rebuts du programme New Frontier, des super-augmentés dont le corps ou l’esprit avait fini par défaillir, les rendant inaptes à l’intégration des corps d’élite.

Rentrant chez elle de la zone d’entraînement au tir en réalité augmentée (où elle avait comme d’habitude sauvé tous les otages et éliminé l’ensemble des terroristes en un temps record), elle avait pourtant été enthousiaste un court instant en voyant l’Oculus Book flambant neuf arrivé comme par miracle sur la table de son salon : enfin la corpo s’était décidée à lui fournir une mission digne d’elle, de l’entraînement qu’elle avait suivi, et des augmentations qu’ils lui avaient payées.
Elle n’en était que plus dépitée…

Elle écouta néanmoins d’une oreille distraite les consignes qu’Octavius, dont la grosse face couvrait l’ensemble de l’écran, lui égrenait d’une voix grave et monocorde.
"La cible est Spiros Giannopoulos, le patron du Dispensaire, une sorte de mac pour poules de luxe. Il fournit également des substances et puces illégales en tout genre. Le tout dans la plus grande discrétion, garantie par son établissement à sa clientèle fortunée. Il semblerait qu’il soit cependant devenu trop gourmand ces derniers temps et qu’il a cherché à compromettre des gens très bien placés chez Oculus. La sentence est donc tombée : il faut le faire disparaître en ayant préalablement supprimé les documents sensibles. A toi de trouver où ils sont et sous quelle forme. Ne merdouille pas, il a apparemment fait en sorte qu’ils soient diffusés automatiquement dans la matrice s’il lui arrivait quoi que ce soit.
Ah, j’oubliais : ne traîne pas, j’en connais un qui en a marre de cracher au bassinet ! La mission doit être réglée pour demain soir, avant le prochain débit du client ! "
La vidéo se terminait sur un rire gras d’Octavius.
Sarah ne put s’empêcher de sortir ses griffes de métal afin de lui transpercer le visage (geste qu’elle regretta aussitôt) et l’Oculus Book rendit l’âme sans un bruit…

Et comme une mauvaise nouvelle ne venait jamais seule, son iPhone sonna : c’était Visto, son trafiquant de petit frère. Et s’il appelait, c’est qu’il avait besoin d’aide… tout de suite.

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Sarah ne pouvait distinguer qu’une vague figure encapuchonnée sur l’écran de son iPhone et n’entendre que des cris menaçants, assez distants.
« Visto, c’est bien toi ? Qu’est-ce que tu fous dans le noir ?
-C’est bien moi, répondit-il d’une voix basse, et je suis planqué car Hajar et ses Pirates veulent me faire la peau. Il a appris je ne sais comment que je l’avais balancé.
-Tu as balancé ton fournisseur au flics ?
-Non, pas aux flics, mais… mais on s’en fout ! Viens me chercher, ils sont vraiment vénères ! Je le sens pas du tout cette fois-ci !
-Tu es chez toi ?
-Où veux-tu que je sois ! »

Sarah raccrocha brutalement puis alla chercher son Heckler & Koch MP7SD3 qui était accroché au râtelier du mur du salon : son silencieux était toujours le bienvenu lorsqu’il fallait travailler discrètement, et quelques rafales bien placée suffisait la plupart du temps à calmer les esprits des personnes motivées, mais pas au point d’y laisser leur peau.

« Il va falloir que je retourne aux Puits. Ça ne me manquait pas, se dit-elle ».

Elle n’y était pas retournée depuis l’accident, et l’idée d’être de nouveau confrontée au lieu de son échec le plus cinglant (et de quitter son appartement rutilant de l’arcologie d’Oculus pour la fange des bas-fonds) ne la tentait guère
Mais puisqu’il s’agissait de son petit frère chéri auquel elle devait tant… elle se précipita dans l’ascenseur privatif du couloir de l’entrée et appuya sur la seule destination possible : celle du box de sa Kawasaki.

Sarah roula poignée dans le coin durant tout le trajet, se faufilant entre les voitures avançant au pas dans les bouchons de la conurb et grillant tous les feux. Elle savait bien que son treillis estampillé Oculus lui tenait lieu de laisser-passer vis-à-vis de tous les flics de la ville (il en serait autrement une fois dans le Puits 76, où un tel logo équivalait à porter une cible sur le dos).

Peu importe, la seule chose qui comptait était qu’elle arrive à temps. Avant que Visto ne se soit fait trouer la peau bien sûr, mais également avant qu’Octavius ne repère qu’elle se trouvait dans un lieu fort éloigné de celui de la mission qu’il lui avait confié. Il n’était pas bien malin, mais il n’avait que cela à faire après tout : surveiller les ressources de la corpo qui était sous sa responsabilité.

Elle n’eut pas besoin d’être arrivée à destination pour comprendre qu’elle n’avait pas été assez rapide : une colonne de fumée commençait à s’élever dans le ciel à quelques centaines de mètres devant elle, exactement à l’emplacement de la cahute de Visto.

« Merde, et merde ! »

Arrivée sur place quelques secondes plus tard, le spectacle des Pirates dansant autour du feu de joie qu’était devenue la mansarde de Visto lui glaça le sang. Mais les hurlements en provenance de cette dernière lui indiquèrent presque paradoxalement que tout n’était pas encore perdu.

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« Il est encore vivant ».
Elle repéra une fenêtre pas encore envahie par les flammes et remit les gaz.
Ça allait être tendu : la cahute de Visto était sur pilotis et la fenêtre se situait bien au dessus du sol.
Une fois sa Kawa à fond de train, elle enclencha le régulateur de vitesse et le stabilisateur puis se mit debout sur sa selle, prête à bondir.
« Trois secondes, j’ai trois secondes ».
Elle franchit le cercle des Pirates médusés, se détendit et la fenêtre éclata, projetant aux alentours des bris de verres tranchants qui vinrent se ficher dans son armure dermique.
Elle retomba à quatre pattes sur le sol, telle une chatte.
La silhouette hurlante de Visto se trouvait dans un angle de la pièce.
« Une »
Elle bondit sur lui et le prit dans ses bras sans effort. Ses hurlements cessèrent aussitôt.
« Deux »
Puis elle fracassa la fenêtre située à l’opposé de celle par laquelle elle était entrée, prit appui sur le rebord et sauta sur sa Ninja qui fit une embardée sous le choc.
Elle reprit rapidement le contrôle de sa machine, Visto posé comme un sac en travers du réservoir, et franchit une dernière fois les lignes des Pirates, dont certains commençaient à sortir leurs pétoires ridicules.
« Trois »
Plein gaz !

« Les nerfs synthétiques d’Oculus et l’entraînement d’Arcturus Yoon ont du bon finalement », se dit-elle, les balles sifflant autour d’elle.
« Appeler Prof ! » poursuivit-elle, cette fois-ci à voix haute.
Le visage du Prof, qui ressemblait étrangement à une ancienne star de ciné de la fin du 20ème siècle et dont elle avait oublié le nom, apparut quelques instant plus tard sur le cadran de sa moto.
« Aïe ! Tu as l’air d’avoir des contrariétés ma petite Sarah. Rien de trop grave j’espère.
-Plus que grave Prof. Visto est dans un pire état que le mien après l’accident. J’arrive avec lui.
-Ça promet d’être moche en effet. Tu peux me dire ce qu’il a, que je prépare ce qu’il faut ?
-Brûlures au deuxième degrés sur 10 à 20% du corps je dirais, quelques brûlures au troisième degré, plus une intoxication avec des fumées du combustion.
-Et toi, ça va ?
-La viande n’a pas été touchée. Que le synthétique.
-Evidemment, vu ce qu’il te reste de viande…Tu es sûre de n’être pas suivie ?
-Ça j’en suis sûre ! Ces abrutis n’ont pas eu le temps de comprendre ce qui se passait, dit-elle avec un sourire carnassier.
-OK. Je t’attends. »

Sarah tourna la tête pour la première fois vers son frère depuis qu’elle lui avait sauvé la mise. Il était inconscient à présent.
« Tiens bon frérot, tiens bon », dit-elle entre ses dents serrées, " Prof est le meilleur et je serais chez lui dans un instant".

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Prof passa plusieurs dizaines de minutes à ausculter Visto dans son cabinet flambant neuf, équipé de matériel dernier cri.
« Ça a l’air rentable d’être le doc des principaux truands de la ville », se dit Sarah.
Le toubib finit par se redresser et dit : « j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que ton frangin est bien moins amoché que tu ne l’étais après ton accident finalement. Tu n’es pas prête de me remplacer comme doc du rue ma petite. La mauvaise en revanche, c’est qu’il l’est bien plus que ce que tu m’avais annoncé tout à l’heure. Il va s’en sortir, mais avec des séquelles, à moins qu’il soit en mesure de se payer des implants…
-Tu sais bien que ce n’est pas le cas. Sans moi il ne pourrait même pas se payer tes services. Tu peux le garder combien de temps ? Je dois aller régler quelques affaires avec ceux qui lui ont fait ça avant de lui trouver un point de chute.
-Ne t’inquiète pas. Je le garde le temps qu’il faudra pour qu’il soit suffisamment remis. Cela te laisse largement le temps de t’occuper de tes petits soucis. A moins que tu aies perdu la main depuis le temps… »
Sarah ne releva pas la pique lancée par Prof mais quitta la pièce en lui tournant ostensiblement le dos. Ce n’est qu’arrivée à la porte donnant sur la rue qu’elle lui cria de prendre soin de son frère et de ne pas s’inquiéter pour elle.

Il allait lui falloir du pognon, beaucoup de pognon, pour remettre son frère sur pied. Et pour cela, il n’y avait que les extras.
Or elle appartenait à Oculus corps et âme et ne devait travailler que pour eux. Mais leurs missions étaient rares et payaient insuffisamment.
Elle n’allait pas avoir le choix que de trouver d’autres filons, sans se faire prendre. La corpo appréciait en effet très peu que ses ressources soient utilisées à autre chose que ses propres fins.
« Première chose à faire pour se remettre un tant soit peu à flot : aller régler son compte à Spiros », se dit-elle en remontant sur sa moto.
Elle avait sa petite idée concernant la cache que ce dernier utilisait pour conserver les données compromettantes. Ça promettait d’être amusant.

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Le Dispensaire était un de ces cubes moches en béton comme il en poussait tous les quatre matins à New-3spérance. Un néon flambant neuf en façade clignotait le nom de l’établissement de manière frénétique.
Deux gros bras en gardaient l’entrée avec une vigilance toute relative.
La nuit était bien avancée et l’activité dans l’établissement semblait battre son plein si l’on se fiait au va-et-vient incessant de la clientèle et au rythme des basses, que l’on pouvait ressentir même en étant situé à plusieurs dizaines de mètres de l’entrée.
« Les voisins doivent apprécier », se dit Sarah avec un demi-sourire.
Elle avait passé quelques minutes à faire discrètement le tour du Dispensaire afin d’identifier le moyen d’y pénétrer sans attirer l’attention. Elle ne tarda pas à se rendre compte en observant les modalités de filtrage à l’entrée que, lorsque l’on était un femme, sous réserve d’être jeune et jolie, le moyen le plus simple était de convaincre les deux gardes-chiourmes de l’entrée que l’on correspondait aux critères esthétiques attendus par la clientèle.

« Ma gueule devrait faire l’affaire, se dit-elle sans fausse modestie, en revanche, mon treillis qui sent le roussi va faire tache au milieu de ces minettes pommadées. »
Et les magasins Zara étant fermés à cette heure, il allait lui falloir se servir sur pied, en dépouillant une demoiselle esseulée qui aurait à peu près sa corpulence.
Elle enfourcha sa Ninja et remonta lentement le flot ininterrompu de fêtard qui se rendaient au Dispensaire, jusqu’à ce que sa proie fut repérée. Elle la dépassa et alla garer sa Kawa dans une petite ruelle adjacente.
Il allait falloir agir vite et bien pour ne pas se faire repérer et éviter l’intervention malencontreuse d’un éventuel galant de passage, ou plus embêtant, des flics.
Après avoir suivi quelques instants la minette dont la robe avait des motifs floraux et criards qui se modifiaient en fonction de l’allure de son pas, Sarah passa à l’action.
Tout se passa sans souci, tout du moins pour Sarah. La demoiselle, assommée et abandonnée dans un local poubelle et ayant troqué contrainte et forcée sa charmante tenue pour un uniforme usagé, allait, elle, devoir moucher rouge pendant quelques jours.
« Tout cet entrainement pour me retrouver à combattre des noctambules de 50 kilos. C’est vraiment du gâchis » se dit Sarah en admirant son reflet dans les vitrines avoisinantes où elle pouvait voir à quel point la petite robe lui allait à ravir.

Toute à sa fierté, elle ne vit pas le drone, pas plus gros qu’un crabe et estampillé Transcorp, qui la suivait pas à pas en courant sur les murs adjacents et dont la caméra intégrée suivait chacun de ses gestes.

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Sarah fit le sourire le plus large et le plus niais qu’elle put à l’un des gros bras au regard éteint qui gardait l’entrée. Elle avait dû employer le bon sésame, car celui-ci, après l’avoir examinée de la tête au pied d’un œil expert, lui indiqua d’un petit geste de la tête qu’elle pouvait entrer dans le Dispensaire.
« Yes ! Je le savais », se dit-elle en ne pouvant s’empêcher de regarder avec condescendance les recalées, agglutinées un peu plus bas sur le trottoir. Visiblement toutes sans implants ou augmentations, elles n’avaient pas l’heur de correspondre aux critères de beauté attendus par les cadres corpos qui fréquentaient l’établissement.
« Ce bouge semble destiné aux hommes hétéros, qui plus est friqués. Cela peut faire mon affaire. On verra »

Elle fut confortée dans son impression première par la vue des hôtesses et serveuses, dont les implants ostentatoires étaient selon toutes vraisemblance destinés à augmenter les plaisirs charnels de la clientèle.
« Moi aussi j’ai des chouettes implants les filles, pensa-t-elle, et je suis sûre que Spiros vous en dira des nouvelles une fois qu’il y aura goûté ! »
L’établissement était plus vaste à l’intérieur qu’il ne semblait l’être vu de l’extérieur : différentes salles à thème en réalité augmentée étaient accessibles à partir du hall d’entrée où un superbe escalier en simili marbre montait à l’étage, là où se trouvaient les chambres et suites.
« Spiros, Spiros, mon petit chou. Dois-moi où tu te caches ! »

Toute à son examen du Dispensaire, elle ne sentit pas venir la grosse main moite qui lui agrippa fermement la fesse.
« Oh mais, regardez la jolie petite fleur que je viens de cueillir ! » dit une voix graveleuse doublée d’une haleine fortement alcoolisée. Des rires gras fusèrent dans son dos.
Instinctivement, ses griffes en acier inoxydable sortirent de ses doigts. Elle les rétracta aussi vite qu’elle put mais insuffisamment pour éviter que les rires gras ne se muent en plaintes apeurées.
« Boss, boss, faites gaffes, elle a des implants d’assassin. Merde, il faut prévenir la sécurité ! »
Il allait falloir agir vite.
Elle se retourna d’un bond et vit les trois costards cravates juste face à elle, qui commençaient à se liquéfier dans leurs complets Armani. Leur boss, copie conforme des trois autres, à l’exception de l’âge et de l’embonpoint, la tenait toujours dans ses bras et approchait sa grosse face rougeaude comme pour l’embrasser, insensible aux alertes de ses subordonnés.
Elle l’attrapa par le service trois pièces aussi tendrement qu’elle pu afin de ne pas alarmer davantage ses larbins et lui dit doucement à l’oreille en ressortant ses griffes juste assez pour qu’il les sentent contre ses parties intimes : « Toi, mon gros, tu vas faire tout ce que je te demande ou, dans trois secondes, tes burnes se retrouvent dans ta bouche ! ».

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Le gros dégueulasse se mit instantanément à suer comme un bœuf. L’odeur se mélangeait à celle de son haleine chargée de gin, et Sarah, écœurée, resserra d’autant plus, bien qu’inconsciemment, sa prise.
Le sourire qu’il fit à ses collègues pour leur signifier que tout allait bien se crispa d’autant plus. Mais cela ne l’empêcha pas de les congédier d’une façon presque naturelle, au prétexte qu’il n’avait pas besoin d’eux là où il allait.
Les trois corpos obtempérèrent sur le champ, visiblement habitués à obéir au doigt et à l’œil à leur patron. « Quelles larves », se dit Sarah, qui était en revanche presque admiratives de la bonne tenue de son otage, qui ne laissait transparaître aucun trouble si ce n’est l’odeur de sueur, uniquement perceptible lorsque, comme elle, on était collé tout contre lui. « Ce type a un self-control du tonnerre. J’ai dû pêcher un gros poisson. Cool ! »
Elle l’observa attentivement alors qu’ils se dirigeaient à l’étage, vers les chambres : la cinquantaine bien tassée, il n’avait pas eu accès au programme de ralentissement du vieillissement For Ever Young que pouvaient seuls se payer les dirigeants de corpos. En revanche, ses augmentations devaient être derniers cris : seul un œil exercé comme celui de Sarah était en mesure de les distinguer, confondus qu’ils étaient avec la carnation naturelle de sa peau. Et le logo sur sa veste ne laissait aucun doute : il appartenait à Transcorp.
« Les œuvres sociales de la boite doivent leur fournir des réducs pour le Dispensaire » se dit-elle avec un demi-sourire.
Force est de reconnaître qu’elle avait vu ce logo dans des proportions inhabituelles sur les costards qu’elle avait croisés depuis son entrée dans ce bouge.
« En plein cœur du territoire ennemi donc. Cette mission va peut-être finir par devenir intéressante après tout. »

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Arrivés sur la mezzanine, Sarah s’enquit du blaze de son otage.
« William Bachman » répondit-il dans un souffle.
Sarah fit une mine désapprobatrice : même son nom n’avait rien d’original.
« Eh bien mon petit Bill, je sens qu’on va bien s’amuser tous les deux », dit-elle à de manière à être entendue à la ronde alors qu’ils croisaient un petit groupe de Golden Boys en bras de chemise et tout en sueur en train de courir après une nymphette siliconée dont les gloussement couvrirent presque sa voix.

Une fois arrivés dans la suite où Bill semblait avoir ses habitudes (il lui avait suffit de poser sa main sur le capteur de la porte d’entrée pour que celle-ci s’ouvre docilement), Sarah le poussa sur le divan de cuir rouge qui trônait au milieu du salon. Il s’y affala sur le dos en poussant un petit cris de surprise.
Sarah le suivit d’une pirouette parfaitement maitrisée et se réceptionna à califourchon sur son bas-ventre avant qu’il n’ait eu le temps de faire le moindre geste. Elle posa ses griffes sur la carotide de Bill en lui demandant de se tenir bien sage puis jeta un regard circulaire afin de prendre connaissance de son environnement.
« Si Spiros a pu accumuler des billes contre des gratte-papiers d’Oculus, c’est qu’il doit avoir installé des caméras enregistreuses dans certaines de ses chambres… »
Rien. Pas de caméra. Bill avait apparemment droit au traitement de faveur qui était dû aux membres éminents de Transcorp.
Elle sentit cependant au creux de ses reins que Bachman bougeait légèrement… Puis elle vit du coin de l’œil la main potelée du corpo qui se dirigeait vers la table basse posée juste à côté du divan.
Avant que Bill n’ait pu atteindre son but, sa main se trouva crucifiée sur la table basse, les griffes de Sarah traversant la paume pour aller se planter dans le bois. « Du vrai bois en plus, se dit-elle, classe ! ».
Ecrasant la bouche de son prisonnier d’une main ferme pour étouffer ses cris de douleur , Sarah poursuivit : « C’est vraiment très vilain ce que tu as voulu faire mon petit Bill. Je suis très déçue. J’aurais tellement voulu pouvoir te faire confiance. Écoute-moi bien : tu n’essaies plus d’appuyer sur le Panic Button qu’il y a sous la table et tu réponds honnêtement à mes questions… et je te laisserais peut-être en vie. Ça te va ? Dis-oui avec la tête si ça te va. »
Bachman, dont les traits se tordaient toujours sous la souffrance, finit par se calmer un peu et hocha de la tête.
« Parfait, et comme je suis bonne fille, j’enlève mes griffes de ta mimine. » Elle rétracta ses lames brutalement et sentit sa victime se contracter de douleur une fois de plus.
« Parlons peu mais parlons bien mon petit Bill : où se trouve Spiros en ce moment ?
- Sur… sur le rooftop… avec la fine fleur de Transcorp… aucun chance que tu l’atteignes avec le niveau de sécu… »
Bachman n’eut pas le temps de finir sa phrase : Sarah avait écrasé son coude sur sa tempe, l’assommant sur le coup.
« Quels bavards ces corpos. Incapables de répondre de manière succincte à une question pourtant simple. »

Restait à atteindre le toit.
Elle s’approcha de l’écran accroché au mur du salon où défilaient des pubs pour les dernières séries Disney, ouvrit l’appli du Dispensaire qui trônait au milieu de l’écran d’accueil et commença à y chercher les plans d’évacuation de l’établissement.

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Les plans étaient sommaires mais Sarah y cherchait surtout ce qui pouvait y apparaître en creux, les vides où auraient pu se cacher un moyen d’accéder discrètement au toit.
L’escalier de secours semblaient s’imposer : ajouté récemment au bâtiment lors de la mise aux normes qui avait précédé l’ouverture du Dispensaire, il courait le long du mur donnant sur la ruelle située à l’arrière.
En revanche, si l’accès à l’escalier était aisé, il suffisait d’appuyer sur la barre anti-panique située sur la porte, en sortir l’était moins, si ce n’est bien-entendu au rez-de-chaussée. Ce n’est pas tant l’absence de poignée une fois côté escalier qui gênait Sarah, elle savait que son corp cybernétique était en mesure d’arracher ces portes coupe-feu sans souci, mais le signal d’alarme qui ne manquerait pas de retentir si elle s’y prenait de la sorte. Restait le matériel de piratage électronique fourni par Oculus dans le cadre de la mission : ce n’était pas sa destination première ni la spécialité de Sarah mais elle ne voyait pas d’autre façon de procéder pour le moment, si ce n’est de charger au travers du rooftop pour enlever Spiros. Mais quelque chose, peut-être les agents d’élite de Transcorp nécessairement postés sur le toit et avec lesquels elle avait déjà eu maille à partir, lui disait qu’il fallait mieux utiliser cette solution, certes plus dans son tempérament, uniquement en dernier recours.
Avant de sortir de la suite, elle redonna un coup violent sur la tempe de Bachman pour qu’il reste bien sage jusqu’à la fin de sa mission, mais aussi, bien qu’elle aurait eu du mal à le reconnaître, parce que cela lui faisait plaisir de traiter de la sorte les corpos de son espèce.

« Me voilà réduite à faire de la bidouille dans un escalier qui sent le moisi telle une vulgaire techno, se disait-elle en grimaçant, Octavius, tu me revaudras ça, je te le jure ! »
La tâche était plus ardue que prévue et Sarah suait à grosses gouttes. L’envie de foncer dans le tas montait en elle de manière irrépressible. « Bon dieu, si dans une minute je n’ai pas réussi à shunter ce truc, je sens que je vais faire un carnage ». Et la musique qui tambourinait de l’autre côté de la porte ainsi que les cris de joie qui s’y faisaient entendre augmentaient d’autant plus son agacement.

Concentrée qu’elle était sur son travail méticuleux, elle ne les entendit pas venir. Mais l’injonction à lever les mains lancée d’une voix virile la fit revenir à la réalité : elle ne serait jamais une techno digne de ce nom, elle avait même réussi l’exploit de déclencher l’alarme sans réussir à ouvrir la porte !
Sans se retourner, elle leva les mains.
Puis sortit ses griffes et bondit en arrière dans un salto magnifique vers les deux agents de sécurité qui la braquaient sans trop d’assurance et dont les yeux reflétaient tout à coup la terreur d’une mort prochaine.

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Le plus éloigné des deux agents reçu le pied de Sarah en pleine poitrine et alla s’écraser sur le palier en contrebas. Sa nuque se brisa avec un petit bruit sec lorsque sa tête heurta le sol et il s’affala de manière ridicule, comme un pantin désarticulé.
Ses lames tranchèrent la main de l’autre type, celle qui tenait le pistolet. La paluche n’eut pas le temps de tomber au sol que Sarah l’empoignait, la séparait du flingue puis la fourrait encore toute sanguinolente dans la bouche de l’agent de sécurité qui s’apprêtait à crier de douleur. Elle empocha le flingue.
« T’inquiète pas pour ta main, lui dit-elle en lui jetant un regard glacial, il a bien d’autres parts de toi-même que tu pourrais perdre petit à petit et dans très peu de temps si tu n’es pas coopératif. Ecoute donc bien : tu vas gentiment appeler le central de sécurité pour leurs dire que vous n’avez rien trouvé, et que la menace est sûrement déjà passée de l’autre côté, il faut donc qu’ils vous ouvrent cette foutue porte pour que vous puissiez jeter un œil de l’autre côté. »
Sarah attendit un instant et observa le pauvre type. Il était blanc comme un linge, des larmes plein les yeux, mais d’un léger signe de tête il lui fit savoir qu’il avait compris. Elle décrocha donc le talkie qu’il portait à la ceinture et l’approcha de sa face toute couverte de sueur, puis jeta la main tranchée en bas de l’escalier et porta ses griffes sur le poignet de sa main encore valide.
« Soit raisonnable, je suis sûre que tu tiens plus à la vie qu’à garder ce taf de merde », lui dit-elle d’une voix douce. Elle appuya sur le bouton du talkie pour activer la liaison avec le central de sécurité.

Le type se montra docile et répéta avec précision ce Sarah lui avait demandé de dire. Elle entendit juste après le verrou de la porte qui se libérait.
« Bon petit gars », lui dit-elle avant de lui écraser le crâne sur le mur de l’escalier. Il s’écroula comme une chiffe molle mais elle le reteint et l’allongea en travers des marches, après avoir vérifié qu’il respirait toujours.
En relevant la tête, son sang ne fit qu’un tour : la caméra dans l’angle du mur. Elle n’avait pas vu cette putain de caméra !
Même si le type à l’autre bout devant ses écrans était en train de piquer un roupillon, il finirait bien par ce rendre compte que quelque chose clochait : il y avait du sang partout dans la cage d’escalier, et Sarah n’avait ni le temps ni les moyens de faire le ménage !
« Fait chier ! »
Sautant au bas de l’escalier, elle dépouilla le type à la nuque brisée et en un éclair, enfila son uniforme, malheureusement bien trop grand pour elle.

Sur le toit, la fête battait son plein. La musique techno-vaudou était assourdissante. Et les lasers clignotants frénétiquement ainsi que les décors en réalité augmentée rendaient presque impossible l’identification de qui que ce soit.
« Comment trouver Spiros dans ce merdier ! »
Elle commença à avancer au milieu de la foule compacte, en essayant de garder l’air de quelqu’un en mission, qui sait ce qu’il cherche et surtout où il va. Des sourires condescendants doublés de ricanements ne cessaient de la suivre.
« J’espère que revêtir cet uniforme s’avérera au final avoir été une bonne idée. Car pour la discrétion, c’est foutu…
Là, le carré VIP ! »

C’était le temple vaudou situé en bordure du toit. Le laquait habillé comme un pingouin qui venait d’en sortir ne laissait aucun doute. Elle s’y rendit d’un pas rapide et décidé, le temps étant dorénavant compté…

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Arrivée devant le garde chiourme siglé Transcorp qui était chargé de filtrer les entrées dans le temple vaudou, Sarah le vit porter son index à son oreille droite et froncer les sourcils.
« L’info circule déjà. Il va falloir jouer serré. »

Elle se planta devant lui et lui dit d’une voix assurée : « Il faut que j’aille parler à Spiros, c’est urgent. Il s’est passé quelque chose de moche et il faut qu’il donne ses consignes. Et nous n’arrivons pas à le joindre avec le réseau sécurisé interne ! Dis-moi où je peux le trouver ! »
Le gorille sembla hésiter un quart de seconde, mais l’uniforme de Sarah ainsi que ce que la cohérence de son discours avec l’info qu’il venait de recevoir fit qu’il s’écarta en lui indiquant de la main, sans mot dire, l’endroit où se trouvait sa cible.
Sarah s’engouffra dans la zone VIP, un bâtiment cubique en béton mais susceptible de prendre toutes les apparences imaginables grâce à la réalité augmentée, ceci afin de satisfaire les caprices variés de ses locataires fortunés. Elle put entendre la voix du gardien de l’entrée rendre compte : il prévenait de son entrée et demandait, peut être un peu tard s’il espérait encore obtenir une promo un de ces jours, si une petite femme d’origine asiatique faisait bien partie des agents de surveillance du Dispensaire.
« Ça va devenir l’Enfer d’ici quelques secondes ici. Il va falloir agir très vite. »

L’ambiance était chaude à souhait et les hôtesses sexy habillées à la dernière mode vaudou faisaient tout leur possible pour justifier des sommes conséquentes que les cadres de Transcorp avaient investies dans cette soirée. Mais du coin de l’œil, Sarah voyait des garde du corps augmentés commencer la procédure d’évacuation des VIP de la corpo.

Spiros, lui, était vautré sur des poufs, entouré d’hôtesses qui se mettaient à glousser dès qu’il les pelotait ou lançait un bon mot.
« On verra bientôt s’il arrive à me faire marrer », se dit Sarah.
La mine réjouie de Spiros se crispa lorsqu’il la vit se diriger prestement vers lui. « Pas assez dénudée à son goût j’imagine. Ou alors c’est la vue de l’uniforme qui lui fait perdre sa bonne humeur… »
Sans attendre qu’il lui adresse la parole, elle se pencha vers lui et lui murmura à l’oreille tout en lui pressant une lame sur la carotide : « Tu vas me suivre bien tranquillement et ta mort sera douce. Dans le cas contraire, je te découperai en tranches comme un salami ! »

Mais cette fine tentative de négociation s’avéra être un échec : les filles autour de Spiros se mirent à hurler.
« Quelles pouffiasses ! », se dit Sarah, chargeant Spiros sur son épaule en fonçant vers la fenêtre véritable qu’elle avait précédemment repérée mais qui, malheureusement, donnait sur le mur extérieur.

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Des corps s’effondraient tout autour de Sarah. Les garde d’élite de Transcorps ne firent pas dans la demi-mesure une fois leurs patrons en sûreté : ils tirèrent dans le tas, vaguement dans la direction des cris qu’ils venaient d’entendre.
Les premières à tomber furent évidemment les filles qui venaient de hurler et dont les cranes explosèrent sous l’impact des balles comme des pastèques trop mures. Des projections de sang et de cervelles mêlés atteignirent Sarah et Spiros qui, porté comme un sac à patates, ne mouftait pas : son cerveau embrumé par l’alcool et les stupéfiants ne réalisait toujours pas ce qui se passait au sein de son rade ni ce qui l’attendait.
L’oreille exercée de Sarah reconnu le crépitement caractéristiques des armes automatiques :" Des Colt M16A5, du matos de pros, ça va être un massacre. Et ce gringalet de Spiros qui m’encombre ! Ça va être chaud !"

Elle était en train de sauter vers la fenêtre lorsque la grenade flash explosa à quelques pas, l’aveuglant totalement.
La fenêtre éclata sous son élan. Spiros hurla de peur et peut-être également de douleur. Elle sentait le sang chaud de ce dernier qui coulait le long de sa peau.
« Pourvu qu’il ne crève pas maintenant ! »
Elle tenta désespérément d’attraper l’enseigne de néon du Dispensaire qu’elle savait toute proche. Sans succès.

« Plus qu’une chose à faire ». Elle s’enroula alors autour de Spiros pour que son corps augmenté d’une armure dermique encaisse l’essentiel du choc lorsqu’ils atteindraient le sol.
Ce fût encore plus brutal qu’elle ne s’y attendait. Lorsqu’elle se releva, du sang sortait de sa bouche, de son nez, de ses oreilles… Elle cracha une pulpe qui lui envahissait la bouche et qu’elle analysa comme un mélange d’hémoglobine et de dents broyées. Son corps n’était plus qu’une intense douleur et sa vue était toujours brouillée.
Et elle entendait le sifflement persistant des balles autour d’elle.
« Merde, je vais pas quand même pas crever dans cette ruelle sordide ! »
Elle empoigna Spiros qui ne bougeait plus, mort ou inconscient, elle n’aurait su dire.
« A la moto, bordel, à la moto ! » Et elle s’éloigna à fond de train, tirant le tenancier derrière elle en le tenant par le col, forçant ses jambes à lui obéir malgré la douleur et se dirigeant vers des lueurs qu’elle pensait être celles de la rue par laquelle elle avait rejoint précédemment le Dispensaire.

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Plus Sarah s’approchait, plus la lumière des spots halogènes qui éclairaient la rue lui brûlaient la rétine. Elle entendait des cris, des ordres qui y étaient donnés.
« Le comité d’accueil Transcorp est déjà sur place » se dit-elle en serrant les dents. Elle sentait son sang affluer douloureusement dans ses tempes, au rythme des battements de son cœur.
« J’ai intérêt à boucler ça rapidos. Sans soin, j’en ai pour une poignée de minutes au plus. »
Elle appela Octovius : « Retrouve-moi dans 10 minutes aux docks du puits 76. Ramène ton gros cul illico ou tu me perds ainsi que mon gibier. Sois à l’heure ! » Elle raccrocha avant qu’il n’ait pu piper mot et empoigna le SIG Sauer 227 qu’elle avait récupéré sur l’agent de surveillance dont elle portait l’uniforme.

Arrivée au bout de la ruelle, elle se pressa sur le mur qui la bordait à droite et pu observer tant bien que mal une situation des plus confuses : la foule hagarde qui sortait du Dispensaire ne savait quelle parti prendre tandis que les agents Transcorps jouaient de la crosse de leurs Colt pour frayer un passage à leurs patrons vers les grosses limousines blindées qui encombraient la chaussée.
« Si je me pointe avec mon quasi-macchabée au milieu de ses ploucs, ils vont s’enfuir comme un volée de moineaux et me laisser exposée. Solution la plus rapide : compter sur une nouvelle surréaction de ces gros bourrins et m’enfuir avec la foule lorsqu’ils tireront dans le tas. Ça va être moche, mais tant pis… »
Elle visa avec difficulté un agent Transcorp qui faisait une belle cible car taillé comme un gorille. « Heureusement que mon œil directeur est le gauche, je crois bien que le droit est kaput ! »
Elle appuya sur la détente… et le gorille resta debout. Il la fixait intensément à présent, tout en indiquant du doigt à ses collègues l’endroit d’où avait été tiré le coup de feu.
« Merde ! Repérée ! Plus le temps de finasser ! »

Les balles commençant à fuser dans sa direction, elle retourna en un éclair sur ses pas et souleva la plaque d’égout qu’elle avait précédemment repérée dans la ruelle. Elle y descendit prestement Spiros qu’elle suivit en refermant la plaque derrière elle. Puis, tout en trainant le patron de boite de nuit qu’elle avait de nouveau empoigné par le col dans le flot de fange, elle rechercha le plan des égouts sur son Iphone.
Elle le trouva sans souci.
Comme elle l’avait craint cependant, ce n’était pas le chemin le plus court pour rejoindre sa Kawa.

Et là, Sarah, les pieds dans le cloaque, commença à sentir sérieusement la fatigue peser sur ses frêles épaules.

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Sarah ne se rappelait plus comment elle avait échoué au pieds des docks, sa moto couchée sur le flan à côté d’elle et Spiros allongé sur le dos, la tête sur son ventre et le torse coincé entre ses jambes croisées.
Les gémissements de son prisonnier l’avait brutalement rappelée à la réalité après une perte de conscience passagère. Spiros, qui avait enfin émergé de sa léthargie, cherchait à se défaire de l’étreinte que lui imposaient les longues guiboles de Sarah.
« Tout doux mon beau, tout doux ! Ça vient, ne t’inquiète pas : ce sera vite terminé. Ne bouge pas trop en revanche, c’est la première fois que j’opère à vif ! »
Elle sortie alors une trousse à outils siglée Oculus et rechercha ce qui ressemblait à des plans sur son téléphone.
« Bon, ça a l’air d’être du gâteau. Si tu ne bouges pas trop, ça devrait bien se passer. »

A ses mots, Spiros fit un effort désespéré pour s’enfuir. Le résultat en fut que Sarah resserra d’autant plus l’étau de ses jambes, tout en lui bloquant fermement la tête entre ses cuisses.
« Tu es bien difficile mon petit Spiros. Vouloir t’enfuir ainsi alors que j’en connais des plus mignons que toi qui rêveraient d’être à ta place en ce moment. Tu es un ingrat. Profite donc au mieux de tes derniers instants ! »
Le tenancier du Dispensaire se mit alors à agiter bras et jambes de manière désespérée, appelant au secours.
« Ça suffit ! » hurla Sarah en lui plantant ses griffes au travers du bras droit, le clouant contre le sol.
Spiros hurla de douleur mais arrêta de bouger, de grosses larmes se mirent à couler le long de ses joues.

« C’est la fin de partie pour toi Spiros. Il faut se faire une raison. Tu t’es attaqué à de trop gros poissons et tes potes de Transcorp ne vont pas se coltiner leurs homologues d’Oculus pour tes beaux yeux. Alors, laisse tomber. »
Elle entama alors la procédure d’extraction d’urgence d’une puce hors d’un implant cérébral Oculus. Dès le départ, elle s’était douté que Spiros possédait un implant s’activant une fois l’arrêt de son activité cérébrale détecté. Or Oculus était spécialisé dans ces gadgets destinés initialement à activer la banque de données où la copie numérique de votre identité était sensée se trouver. Pour le jour où l’on saurait l’implanter dans une autre enveloppe corporelle…
Or, de ce matos douteux, elle savait que les maîtres chanteurs étaient fort friands bien que pour des finalités un peu différentes. Elle n’avait donc eu qu’à confirmer grâce aux bases de données Oculus que Spiros avait bien fait partie de leurs clients pour une prestation de ce type.

L’opération se déroula sans problème. Spiros couina bien à quelques occasions lorsque les outils de Sarah dérapaient légèrement et attaquaient le cuir chevelu, mais c’était certainement parce qu’il était douillet.
Une fois sa tâche effectuée, Sarah se leva fièrement, fourra la puce dans sa poche puis se retourna vers Spiros tout en souriant.
« Tu n’as pas oublié, hein, mon petit, tu avais opté pour la méthode du salami… »

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« Putain, Sarah ! Qu’est-ce que tu as encore foutu ! C’était dégueulasse ! Jamais vu un carnage pareil ! »
C’était la douce mélodie de la grosse voix grave d’Octavius. Sarah n’avait jamais été aussi ravie de l’entendre.
Tout autour d’elle, des cadrans clignotants, qu’elle distinguait peu à peu et auxquels elle était reliée par des tubes en polyéthylène, indiquaient ses constantes vitales. Certaines s’affichaient périodiquement en rouge gras et vif, accompagnées d’un son strident de klaxon.
Les pales de l’hélico d’urgence médicale d’Oculus faisaient également un barouf d’enfer.
« Trop de bruit… » se dit-elle, puis, poursuivant à voix haute : « Ta gueule Octavius, pour une fois que tu vas sur le terrain il faut que tu fasse ta gonzesse ! Demande plutôt à tes potes médics qu’ils m’ôtent le marteau-piqueur qu’ils ont laissé par inadvertance dans mon crâne ! Je le sens qui cogne entre mes tempes avec une régularité de métronome… »
Un jet de sang sortit alors de sa bouche avant qu’elle ait pu finir sa diatribe, qui atterrit en partie sur la chemise Hugo Boss d’Octavius. Puis ce fut le fondu au noir. De nouveau…

« Sarah ! Mais, bordel ! Sarah ! »
Octavius était toujours aussi remonté. « Il devait tenir à cette chemise », se dit Sarah, sortant à nouveau du coltar, le marteau-piqueur en moins dans le crâne.
« Quoi ? » lui dit-elle d’une voix faible mais agacée.
« Mais bon dieu, qu’est-ce que tu as encore foutu ? On t’a retrouvée le nez dans une espèces de marmelade humaine ! Les médics n’ont pu identifier Spiros qu’en analysant la pâtée pour chien dans laquelle tu baignais, inconsciente…
- Dis-toi bien que c’était de la légitime défense !
- Conasse dégénérée ! hurla Octavius, tu n’es qu’une pauvre psychopathe ! Je vais te mettre un rapport au cul avec analyse de psy par dessus le marché et tu vas te retrouver à faire la catin dans le puits 76 !
- Oula ! Je t’arrête tout de suite mon vieil Octavius ! Rien ne sert d’en faire des tonnes : tu sais très bien que je suis insensible aux compliments. Tiens, fouille dans la poche droite de la veste de mon uniforme, tu devrais y trouver ton bonheur. »

Octavius fourra sans ménagement sa grosse main dans la poche indiquée par Sarah et en ressortit la puce encore toute sanguinolente qu’elle avait extraite du crâne de Spiros.
« Détends-toi mon mignon ! Tu vois, j’ai tout bien fait. Je ne me suis pas contentée de massacrer ce guignol. Il doit y avoir là-dedans toutes les données qu’il avait en sa possession susceptibles de compromettre tes patrons. »
Octavius sembla effectivement se calmer, regardant la puce qu’il tenait entre le pouce et l’index d’un air incrédule et stupide. Puis il l’inséra dans son MacBook.
Un sourire de satisfaction apparu sur son visage au bout de quelques instants.
« Données authentifiées ! C’est du bon boulot Sarah finalement. Félicitations ! En voyant ce que tu avais fait à Spiros, j’ai cru que…
- Ta gueule, l’interrompit-elle sans élever la voix, maintenant que l’on a passé le stade des politesses d’usage, on va pouvoir parler des choses sérieuses.
- Ne t’inquiète pas pour cela, je viens de te transférer les fonds. Déduits de quelques faux frais bien entendu, pour l’enlèvement et la réparation de la moto d’une part, et pour ton sauvetage et tes soins d’autre part.
- Tu te fous de moi ! dit Sarah en tentant de se redresser pour le saisir à la gorge.
- Pas du tout », répondit Octavius avec un sourire, tout en manipulant la molette de l’une des perfusions de Sarah, qui s’écroula comme un masse, les yeux révulsés.

Tout à leur discussion enflammée, ni elle ni son fixeur n’avaient malheureusement repéré le petit drone siglé Transcorp suspendu par ses dix pattes à une gaine électrique qui courait le long de la carlingue, et qui avait filmé et transmis directement à ses propriétaires l’intégralité de cette touchante conversation.

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