Abstract Dungeon : la Sombre Forêt

Sylviste, dans son bureau rempli de babioles provenant des quatre coins du monde connu, ne pouvait s’empêcher d’être sceptique face à la troupe hétéroclite assise en face d’elle.
La Guilde des Marchands lui avait promis une escorte composée des meilleurs éléments de l’école de magie de Verport, et elle allait finalement devoir faire le voyage le plus périlleux de sa vie accompagnée de deux jeunes inconnus arrivés depuis peu en ville.
Certes, ces derniers avaient combattu (à la suite à un petit différent sans importance) et vaincu avec panache les magiciens en question, et ceci dans l’enceinte même de la grande arène de Verport. Mais leur jeunesse, leur insouciance et leurs allures chétives n’avaient rien pour la rassurer…
Pour être tout à fait exact, il n’y avait cependant pas que ces deux inconnus face à elle, mais également une touffe de poils de bonne taille et apparemment dotée de raison (elle parlait) ainsi qu’un être étrange au regard effrayant et dont l’apparence était celle d’un chat. Mais Sylviste se persuada assez vite qu’il s’agissait d’autre chose, bien que n’ayant aucune idée de ce que cet « autre chose » pouvait être.
Ces dernières pensées, qui ajoutaient l’inquiétant à l’inconnu, auraient pu la conduire à refuser cette escorte improbable. Mais cela eut l’effet inverse : il apparut clairement à la marchande que si une créature pouvait l’aider à traverser sans encombre la Sombre Forêt, c’était bien celle qu’elle avait en ce moment devant les yeux et qui était juchée fièrement sur l’épaule de son humain.
Après avoir émis un petit soupir imperceptible, Sylviste se lança et exposa à ses interlocuteurs les objectifs et conditions de leur mission…

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L’arrivée dans la Sombre Forêt était glaciale. Alors qu’une chaleur accablante sévissait sur Verport et la campagne environnante depuis plusieurs jours, sitôt l’orée franchie, une froidure toute hivernale saisit Sylviste des pieds à la tête.
Elle ne put réprimer un frisson qui lui courut tout le long des vertèbres.
Frisson autant dû au froid qu’au silence pesant qui régnait dans la forêt : pas un chant d’oiseau, pas le moindre souffle dans les feuillages ne se faisait entendre.
Même ses compagnons, dont les plaisanteries plus ou moins drôles avaient jusqu’ici rythmé le début de leur périple, se turent pendant quelques instants.
Seuls les pas de ses chevaux et les couinements de la charette sur laquelle elle était assise se faisaient entendre.
Les pensées de Sylviste s’assombrirent encore : elle savait, depuis que cet homme était sorti de la Sombre Forêt, couvert de griffures et de son propre sang pour mourir aux portes de Verport dans les bras d’un garde de faction, que cette mission a priori de routine serait au final difficile. Les quelques mots que le pauvre hère avait soi-disant prononcés avant de mourir, évoquant des griffes ainsi que la forêt, étaient plus confus qu’inquiétants.
Mais cela faisait maintenant des semaines, avant cet événement, qu’âme qui vive n’avait été vue en provenance du Creux Morvan. Et la seule a y être finalement parvenue n’avait survécu à son périple que quelques minutes !
Combien d’autres étaient-elles restées au milieu du chemin ? Y avait-il encore moyen de les sauver ?
Et surtout, qui était à l’origine de tout ceci ? La route du Creux Morvan, traversant la Sombre Forêt d’est en ouest, était réputée sûre depuis longtemps.
Dire que sa mission première était uniquement d’aller au Creux Morvan pour y prendre en charge les intérêts de la Guilde sur place. Une promotion, enfin ! Elle l’attendait depuis 15 ans !
Ne serait-ce que 3 ans plus tôt, ceci n’aurait été qu’une mutation (une de plus). Mais dorénavant, le Creux Morvan était en plein essor : d’un petit village tourné vers la production agricole, il était devenu une ville champignon, produisant du bois à profusion et bientôt, du fer, pour le royaume de Salicar.
Raison de plus pour rétablir cette liaison avec Verport au plus tôt : la capitale mettait une pression forte sur la Guilde pour que l’approvisionnement en bois reprenne, la construction de la flotte royale ne devant souffrir d’aucun retard.
Sylviste stoppa brusquement son attelage. Elle venait d’être tirée de ses pensées par des croassements qui semblaient provenir d’un peu plus loin sur la route, brisant le silence de la forêt.
Ils se regardèrent sans bruit avec ses compagnons : qui allait être le courageux éclaireur chargé d’observer ce qui pouvait bien se passer au-devant d’eux ?

A la grande surprise de Sylviste, le plus courageux s’avéra être Fluffle, la touffe de poils dotée de conscience. La créature, après un court instant d’hésitation, sortit de la charette, s’élança dans la forêt, et suivit le tracé de la route, un peu à l’écart de celle-ci, caché dans les buissons. Son aisance à se déplacer dans les fourrés étonna Sylviste : il semblait être ici totalement dans son élément.
Maelan, qui avait enfourché l’un des chevaux de l’attelage, resta sur place avec son « chat » sur l’épaule. Il semblait étrangement calme, donnant l’impression d’être en terrain connu.
Nourrain, qui avait préféré suivre à pied, semblait légèrement plus inquiet, sur le qui-vive.
Il ne s’écoula que quelques minutes avant que Fluffle ne revienne avec des nouvelles inquiétantes : quelques centaines de mètres plus loin, une caravane marchande avait été attaquée. Il n’avait observé sur place aucun signe de vie, à part les nombreux corbeaux dévorant goulûment les chevaux morts d’avoir eu les flancs déchirés par des griffes monstrueuses. Pas de trace de marchands, d’escorte, rien…
Sylviste déglutit avec peine : c’était le seul chemin possible, il n’y avait pas d’autre choix que de continuer et de croiser le spectacle morbide.
Elle commençait à se demander s’il elle ne devait pas refuser cette promotion après tout. Il était peut-être encore temps de faire machine arrière.
Mais une fois Fluffle revenu dans la charette, elle fit claquer les rênes aussi résolument qu’elle le put et l’attelage se mit en branle.
Bien que le froid fût toujours aussi mordant, elle sentit une grosse goutte de sueur couler le long de sa tempe puis sur sa joue…

Le spectacle était encore plus sinistre que ce que le rapport de Fluffle pouvait laisser croire : les chevaux gisaient à terre les flancs déchirés, laissant apparaître leurs entrailles pourissantes, et les yeux arrachés par des corbeaux qui s’envolèrent rapidement lorsque la petite compagnie arriva à proximité.
Mais absolument aucune trace d’une présence humaine quelconque. Que des traces animales sur le sol desséché, très nombreuses elles en revanche.
Le survivant ensanglanté qui avait réussi à atteindre Vertport devait faire partie de cette caravane pensa tristement Sylviste. Ils n’étaient pas si loin des portes de la ville après tout.
Fluffle se mit à fouiller les wagons abandonnés, aidé de Maelan, à la recherche d’indices éventuels : il fit choux-blanc. Enfin, pas tout à fait : il trouva 3 potions curieusement intitulées, dont une destinée apparemment à résoudre les problèmes des gens complexés par leur taille, ce qui fit bien rire les trois compères de Sylviste.
Elle ne put s’empêcher de remarquer avec un petit sourire que malgré leurs sarcasmes, ils gardèrent précieusement la fiole par devers eux. Sûrement dans le cas, bien improbable évidemment, où ils auraient besoin d’augmenter leur taille apparemment déjà considérable…
Nourrain observa de son côté les traces laissées au sol : des traces animales uniquement et assez caractéristiques, laissées par des pattes de loups. Elles s’enfonçaient plus profondément dans la forêt, en dehors du chemin qu’ils suivaient.
Après quelques discussions, il fut décidé de ne pas suivre ces traces pour le moment car cela impliquait d’abandonner le chariot, qui ne pouvait progresser hors de la voie carrossable. Et la priorité, d’après les garçons (enfin, si l’on pouvait compter Fuffle parmi les garcons), c’était de ramener Sylviste saine et sauve au Creux Morvan.
Sur ce dernier point, elle ne pouvait être que d’accord, il était impératif de mettre rapidement de nouveau quelques lieux entre elle et cette forêt maudite !

Fluffle s’était calé au fond de la charette. Mais vraiment au fond : son corps en avait épousé la forme et il semblait à Sylviste qu’un tapis a poils longs le recouvrait à présent totalement.
Bien malin qui aurait pu dire qu’il s’agissait là d’une créature vivante !
Maelan et Nourrain avaient repris la route comme précédemment, l’un sur un cheval et l’autre à pieds.
Et toujours le même froid et le même silence oppressant…
Jusqu’à ce que soudainement, Maelan ne distingue, sur la route en face d’eux, un ours brun en train de les charger !
Il n’eut pas le temps d’alerter ses camarades que déjà trois loups sortis de nulle part s’attaquaient à l’attelage : deux s’apprêtaient à mordre les chevaux tandis que le troisième, ayant bondi dans la charette, voulait s’en prendre à Sylviste.
La réaction de l’escorte fût fulgurante, quoique fort peu conventionnelle : Fuffle fit fuir le loup qui lui avait sauté dessus en refermant brutalement son corps sur la bête, comme les mâchoires d’un piège ; Nourrain, lui, jeta des graines sur les deux autres loups, ce qui à la surprise de Sylviste eut l’effet d’attirer une nuée d’oiseaux, qui à force de coups de bec vint à bout des assaillants ; quant à Maelan, après avoir invoqué des plantes grimpantes afin d’enchevêtrer partiellement l’ours, il l’acheva en plongeant avec une souplesse insoupçonnée entre ses pattes puis en tordant vigoureusement ses génitoires à mains nues : l’ours s’enfuit dans les bois en hurlant.
Avec un soupir de soulagement, Sylviste se dit que dans la cas présent, heureusement que le jeune magicien n’était pas tombé sur une ourse… mais peut-être n’était-ce pas de la chance : ce jeune semblait connaître la forêt comme sa poche et il était possible qu’il sache reconnaître en un coup d’œil s’il avait affaire à un ours mâle ou à une femelle.
Toujours est-il que l’efficacité de ses compagnons la laissa sans voix : elle comprenait maintenant pourquoi les élèves de l’école de magie de Vertport n’en étaient pas venus à bout.
Cependant, la charge de l’ours avait fait du dégât : Maelan était légèrement blessé et le cheval sur lequel il se tenait auparavant agonisait sur le chemin, l’encolure déchirée d’un coup de griffes.
Il était perdu, mais qui allait avoir le courage d’abréger ses souffrances ?

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Alors qu’aucun ne se décidait à achever le pauvre animal (bien trop occupés qu’ils étaient tous à contempler leurs pieds d’un air penaud), se fût Genann, le chat si étrange, qui se chargea de la triste besogne, sans aucun remord apparent bien que sans plaisir non plus : de sa patte sortit une griffe démesurée qu’il planta sans hésitation entre les deux yeux du cheval, lui offrant une mort rapide.
Ceci confortat Sylviste dans son impression première : c’était bien ce petit animal qui était le plus inquiétant, voire le plus puissant de tous ses compagnons.
Les garçons se chargèrent ensuite de dégager le cadavre de la route afin de pouvoir poursuivre leur périple, qui s’acheva sans autre événement dramatique.
Les conversations allèrent cependant bon train le long du chemin jusqu’au Creux Morvan car cette dernière attaque était plus qu’invraissemblable : depuis quand des loups étaient-ils capables d’organiser un tel get-happen ? En coordination avec un ours par dessus le marché !
L’explication la plus probable qui finit par faire consensus fût la suivante : tout ceci semblait avoir pour origine une forme de magie druidique très agressive et s’attaquant principalement aux caravanes marchandes chargées de bois en provenance du Creux Morvan. Il y avait donc probablement un lien entre ces événements et les querelles entre bûcherons et druides dont Nourrain et Sylviste avaient entendu parler.
Rester à trouver quel avait pu être le déclencheur de ces tueries car jusqu’à présent, les tensions entre les deux clans s’étaient limitées à quelques échauffourées.
Ces discussions au sein de son escorte rassurèrent une fois de plus la marchande : non seulement ces jeunes gens savaient se défendre mais ils savaient également se servir de leur cervelle pour analyser une situation. Et agir efficacement par la suite espéra-t-elle.
Un unanime soupir de soulagement se fit entendre au sein de la troupe une fois atteinte l’orée de la Sombre Forêt.
Ici, le bruit des cognées abattant les arbres et les cris des bûcherons étaient omniprésents.
Ils traversèrent ensuite une ville récente, constituée essentiellement de tentes et de quelques bâtiments en bois, qui était devenue plus vaste que le village « historique » que Nourrain avait connu dans son enfance.
Ici, outre les habitations des bûcherons, se trouvaient, au bord de la Moracée, les scieries qui utilisaient le courant comme force motrice pour leurs machines. Et il y avait, bien entendu, quelques débits de boissons d’où des rires sonores et des chants se faisaient entendre.
Mais l’accueil par les ouvriers de la ville de tentes ne fût pas des plus chaleureux, la petite troupe fût observée ostensiblement avec un mélange de méfiance et de surprise teintée d’admiration : cela faisait plusieurs semaines maintenant que personne n’était revenu en un seul morceau de la forêt, ces inconnus étaient donc soit très puissants, soit à l’origine des disparitions (voire même des deux à la fois).
L’atmosphère ne se détendit qu’une fois les bureaux de la Guilde Marchande atteints, au cœur du vieux village du Creux Morvan. C’est là que Sylviste félicita ses compagnons pour leur efficacité, tout en leur rappelant qu’ils n’avaient accompli que la moitié de leur mission.
Il leur restait à trouver la cause de tous ces troubles, afin de la supprimer…

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Jack, assis derrière la grande table de bois qui lui servait de bureau, souriait doucement en écoutant le rapport qui lui été fait aux sujets des étrangers récemment arrivés en ville.
Des étrangers qui sortaient de l’ordinaire.
Le Creux Morvan attirait dorénavant de solides bûcherons et mineurs, ainsi que son lot de malfrats profitant du chaos provoqué par l’extension trop rapide de la ville pour faire leurs juteuses petites affaires en toute sérénité.
Mais les étrangers en question n’étaient pas faits de ce bois là (Jack ne pu s’empêcher de sourire en pensant à cela). Non, ceux-là avait l’air plus tendres, voire un peu trop verts, mais efficaces cependant.
Ils avaient en effet résolu le mystère des disparitions de la Sombre Forêt avec célérité.
C’est d’ailleurs à cette occasion que Jack les avait rencontrés, dans la tente même où il se trouvait actuellement : ils avaient voulu discuter avec lui, tout au début de leur enquête, car eux aussi soupçonnaient alors les druides, ces foutus protecteurs de la forêt.
Ils ne pouvaient donc être que de bons petits gars ! Bien que l’un d’entre-eux ne soit pas vraiment un gars, mais une chose, un tas de poil parlant qui mettait Jack mal à l’aise.
Afin d’avoir définitivement le cœur net sur leurs intensions, Jack avait demandé à ce qu’une enquête soit faite à leur sujet : il avait chargé de cette mission un ouvrier de la scierie dans lequel il avait toute confiance, et qui n’attirerait pas l’attention en centre ville, pour y aller régulièrement faire des provisions.
Les nouvelles qu’on lui rapportait étaient rassurantes : les nouveaux venus semblaient vouloir se mêler uniquement de leur oignons.
Tant mieux, Jack ne tolérerait aucune entrave à son commerce de bois. Vraiment aucune…

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Ah quel salaud ce Nourrain !
Il n’avait donc pas changé depuis tout ce temps !
Déjà, tout petit, il lui en faisait voir de toute les couleurs : une jolie petite blonde à couettes qui lui plaisait, Nourrain lui soufflait sous le nez sans aucune vergogne ; Nourrain voulait des pâtisseries (pour la petite blonde ça se trouve !), eh bien il arrivait à embrouiller tellement la tête d’Eldin que ce dernier finissait par aller en voler chez Melville, et après s’être fait immanquablement rattraper, il se faisait tout aussi immanquablement rosser par le pâtissier, pendant que Nourrain se gavait d’éclairs au chocolat (avec la blonde !). Et en plus, une fois le pâtissier allé se plaindre bruyamment de la mauvaise éducation d’Eldin à son bijoutier de père, celui-ci lui remettait une rouste, juste pour faire bonne mesure.
Et voilà que ça recommençait ! Alors qu’enfin il avait accompli quelque chose de remarquable, un exploit susceptible d’attirer à lui l’attention de tout le Creux Morvan, Nourrain venait en quelques minutes de tout ficher par terre, en le dépouillant de son bien chèrement acquis.
Quelle plaie !
C’est qu’il lui en avait fallu du courage et de l’audace pour s’enfoncer aussi profondément, et seul, dans la Sombre Forêt ! Puis pour pénétrer dans le sombre caveau, afin de récupérer le splendide collier abandonné autour du cou de cette affreuse momie toute desséchée !
Ça, c’est pas Nourrain qui l’aurait fait, c’est sûr !
Non, lui, il s’était contenté lui briser le genou d’un violent coup de bâton, après lui avoir dérobé de force son précieux collier avec l’aide de deux bêtes féroces et d’un terrible magicien.
Un exploit digne de Nourrain…
Et il ne restait maintenant plus à Eldin que ses yeux pour pleurer.

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